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Kathryn Hess, la boss des maths

Professeure à l’EPFL, cette mathématicienne met en pratique sa discipline, la topologie, pour mieux comprendre le fonctionnement du cerveau. Elle s’engage aussi pour la promotion des carrières scientifiques féminines

Kathryn Hess — © Eddy Mottaz
Kathryn Hess — © Eddy Mottaz

«Une fille a-t-elle le droit de s’inscrire dans un programme d’études renforcées en mathématiques?» C’est l’étonnante question posée il y a quelques années par une mère dont la fille souhaitait s’inscrire au cours Euler de l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL), destiné aux enfants dotés d’un don précoce en maths.

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La mathématicienne Kathryn Hess, qui a participé à la création de ce cursus il y a dix ans, se souvient de ces mots. Pour cette professeure de l’EPFL, ils sont la preuve que des efforts sont encore nécessaires pour asseoir la place des femmes dans les mathématiques et dans les sciences en général. L’Américaine d’origine, installée en Suisse depuis plus de vingt-cinq ans, a elle-même relevé le défi de mener de front une vie de famille riche et des recherches de haut niveau. Sa spécialité? La topologie, qu’elle applique notamment à l’étude du cerveau.

Dans le Blue Brain Project

Traits fins, regard pétillant et français impeccable, Kathryn Hess fait preuve de pédagogie lorsqu’il s’agit d’expliquer son domaine d’étude à une journaliste sidérée. «La topologie est peu connue car elle n’est pas enseignée à l’école. Elle s’intéresse à la notion de formes, mais pas comme en géométrie, où il est question de métriques. Dans la topologie, on imagine qu’on travaille avec de la pâte à modeler pour se figurer quelles sont les propriétés des formes et celles qui seront conservées à la suite des déformations», explique la dynamique cinquantenaire.

Pour se déplacer dans une ville inconnue, on a besoin de savoir comment les rues s’organisent, pas forcément qui habite où. C’est la même chose pour étudier le cerveau

A côté de ses recherches en mathématiques pures, Kathryn Hess mène des projets appliqués. Avec des collaborateurs chimistes et mathématiciens, elle a mis au point une méthode permettant de classifier des matériaux innovants dits nanoporeux, utilisés en chimie et en médecine, et d’identifier les plus prometteurs d’entre eux dans de vastes bases de données. Elle collabore également au Blue Brain Project, pan suisse du gigantesque Human Brain Project de l’EPFL, qui vise à simuler numériquement le fonctionnement du cerveau humain. Le Blue Brain Project a abouti en 2015 à un modèle virtuel d’un microcircuit du cerveau du rat, soit tout de même quelque 31 000 neurones formant huit millions de connexions.

«Un formidable modèle»

Kathryn Hess utilise les mathématiques pour comprendre comment ces cellules nerveuses échangent des informations. «Pour se déplacer dans une ville inconnue, on a besoin de savoir comment les rues s’organisent, pas forcément qui habite où. C’est la même chose pour étudier le fonctionnement du cerveau: on tâche d’abord de déterminer comment les neurones se connectent entre eux. La topologie permet d’identifier des schémas d’interactions dans ce qui ressemble de prime abord à un amas chaotique de cellules», indique la scientifique, qui a publié l’année dernière une étude remarquée sur ce sujet, dans la revue Frontiers in Computational Neuroscience.

© Eddy Mottaz
© Eddy Mottaz

Un de ses plus proches collaborateurs, le mathématicien Ran Levi de l’Université écossaise d’Aberdeen, ne tarit pas d’éloges. «Kathryn est une personne brillante et une formidable mathématicienne. Parler et faire des maths avec elle est une expérience joyeuse et très gratifiante. Elle est capable de supporter d’énormes quantités de travail et de réussir sur tous les fronts. C’est un formidable modèle pour les jeunes mathématiciennes, mais pas seulement.»

Un univers très masculin

Kathryn Hess évolue dans un milieu qui demeure très masculin. «A l’EPFL, seuls 20% des doctorants en mathématiques sont des femmes», souligne-t-elle. Il y a trois ans, elle a créé le réseau Femmes en topologie avec d’autres mathématiciennes. «Nous nous retrouvons pour travailler sur des projets de recherche communs, mais aussi pour échanger sur nos expériences personnelles. Ce n’est pas que nous n’aimons pas les hommes, mais nous sommes toujours tellement minoritaires! Faire partie d’un réseau permet de se sentir soutenue», explique-t-elle.

La chercheuse dit ne pas avoir souffert de discrimination directe liée à son genre au cours de sa carrière. Mais pour cette mère de quatre garçons, le challenge est de jongler entre vie de famille et activités professionnelles. «Pendant une quinzaine d’années, j’ai donné la priorité à mes enfants et j’ai été moins productive scientifiquement, estime-t-elle. J’ai heureusement eu la chance de bénéficier du soutien de mon époux et de mes collègues, qui ont continué à croire dans mon potentiel de chercheuse.» Très impliquée dans la promotion des carrières scientifiques féminines, Kathryn Hess participe aux activités de la Fondation WISH de l’EPFL, qui offre des bourses aux étudiantes prometteuses.

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Passionnée dès son enfance par les étoiles et le cosmos, au point de vouloir étudier l’astrophysique avant de se découvrir une passion pour les maths, Kathryn Hess dit devoir beaucoup à ses parents, qui ont cru à ses projets. «Ils ont fondé un programme spécifique pour les élèves doués en maths dans ma ville natale, auquel j’ai participé et qui m’a beaucoup apporté. Je m’en suis inspirée pour monter le cours Euler», explique la mathématicienne, qui a une sœur physicienne et une autre chimiste. Une belle histoire de sciences et de famille qui se poursuit aujourd’hui, puisque un de ses fils est étudiant à l’EPFL.

Profil

1967 Naissance aux Etats-Unis, en Pennsylvanie.

1990 Arrivée en Suisse.

1992, 1995, 1998, 2002 Naissance de ses enfants.

2015 Début de sa collaboration avec le Blue Brain Project.