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Architecture: les nouveaux temples de l’horlogerie

La quête d’écrins emblématiques poétise désormais le dialogue qui a toujours existé entre l’horlogerie et l’art de construire des bâtiments

Le musée-atelier d’Audemars Piguet, prévu pour 2020. — © Audemars Piguet
Le musée-atelier d’Audemars Piguet, prévu pour 2020. — © Audemars Piguet

Certains y voient un dragon chinois. Comme ceux qui ondulent dans les rues de Pékin pendant les festivités du Nouvel An. D’autres un boa bondissant au-dessus des rues de Bienne. Le nouveau siège Swatch, encore en chantier, est en tout cas un édifice plus proche de la sculpture que d’une manufacture horlogère telle que l’on pouvait il y a quelques décennies encore se l’imaginer.

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Conçu par l’architecte japonais mondialement célèbre Shigeru Ban, l’édifice recouvert d’une charpente entrecroisée en bois – dont les éléments décoratifs en forme de croix donnent une touche Swatch à toute la structure – serpente le long de la rue Jakob-Stämpfli, du nord-est en direction de la ville. Musée, bureaux administratifs, espaces de production hautement technologiques, salles de conférences, parcs publics: l’image formée par l’ensemble des bâtiments Swatch et Omega est à la hauteur de l’aura internationale de ces deux marques du groupe fondé par Nicolas Hayek.

© Audemars Piguet
© Audemars Piguet

Spirale futuriste

Aux courbes asiatiques qui s’élancent au-dessus de Bienne font écho celles du Nord, émergeant des champs du Brassus. Signé par Le Bjarke Ingels Group (BIG), bureau d’architecture danois, le futur Musée Atelier prolonge le musée d’origine installé dans la bâtisse historique de la famille Audemars par une spirale futuriste, entièrement soutenue par des murs courbes en verre. «Le projet combine le respect des origines et des traditions, l’ouverture sur le monde, la transmission des traditions et la liberté d’imagination qui caractérise Audemars Piguet, note Michael Friedman, historien de la manufacture. Sa complexité architecturale rappelle les grandes complications horlogères, mais la vue panoramique sur la vallée de Joux rappelle l’authenticité du paysage qui a bercé l’évolution de notre savoir-faire.»

Prévu début 2020, il réunira dans un espace de 2400 mètres carrés un nouveau lieu d’exposition pour ses garde-temps ainsi que des ateliers traditionnels de réparation des modèles anciens et un lieu de stockage pour les archives de la maison, tout en étant relié́ au musée original de 1968.

Deux métiers qui se ressemblent

Cette collaboration est, selon l’historien, aussi révélatrice des liens qui unissent l’art de bâtir un édifice et celui de fabriquer un objet qui mesure le temps. Dans l’horlogerie, la forme est le contenu. L’architecture de la montre est le contenu de la montre. C’est là̀ que l’horlogerie et l’architecture se rassemblent. «Ce bâtiment fait référence à la spirale du temps. On peut le regarder comme un cadran de montre. Et il est, tout comme une montre portée au poignet, à la fois un objet informatif et une œuvre d’art, qui suscite une contemplation méditative», ajoute Michael Friedman.

© Thierry Porchet
© Thierry Porchet

«Il y a certaines similarités entre le travail que l’on fait autour d’une montre et celui qu’on fait autour d’un bâtiment, confirme de son côté Bernard Tschumi. Les deux impliquent les notions du contenant et du contenu, du dedans et du dehors. Ces derniers peuvent correspondre ou pas l’un avec l’autre, par exemple un boîtier très orné avec un mécanisme d’une simplicité absolue ou un mécanisme de grande complication et une enveloppe minimale. Cela s’applique de la même manière à l’architecture. Certaines montres sont secrètes, d’autres exhibent leur mécanisme en transparence, tout comme un édifice. L’architecte et le maître horloger doivent réussir à harmoniser ces différents facteurs, leur donner une unité, une continuité, une élégance.»

© Peter Mauss/Esto
© Peter Mauss/Esto

Feuille pliée

L’architecte suisse basé à New York a réalisé le siège de Vacheron Constantin à Plan-les-Ouates, inauguré en 2005, et son extension, achevée en 2011. Pour dépasser l’image d’une simple bâtisse avec deux murs et un toit, Bernard Tschumi s’est inspiré de l’image d’une feuille repliée élégamment, formant à la fois le socle, les murs et la toiture. Avec de l’acier poli à l’extérieur, et du bois à l’intérieur, pour présenter un aspect solide dehors et agréable dedans, du confort visuel et acoustique pour les gens qui y travaillent. «Le fait de faire intervenir dans un bâtiment à la fois une technique structurelle complexe sur une face et un matériau très sensuel sur l’autre se rapproche de la métaphore horlogère d’une montre très technique que l’on porte à même la peau», explique l’architecte.

Ces différents exemples ont en commun une approche conceptuelle, axée sur l’ambition de mettre en lumière l’héritage, les spécificités ou encore les valeurs d’une maison horlogère sur les lignes de son édifice.

De la fonction à la forme

Reste que ce dialogue et cette recherche hyper-créative sont récents. Pendant longtemps, il a été question d’architecture fonctionnelle pour les manufactures horlogères. Les bâtiments étaient conçus dans l’optique de rendre possible un travail artisanal complexe. Lumière naturelle maximisée, circulation de l’air, accès en hiver, chaleur suffisante pour ne pas engourdir les mains…

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Ces contraintes ont poussé les architectes à trouver des solutions spatiales et urbanistiques. «Les vallées horlogères suisses étaient la Silicone Valley du XIXe siècle, analyse Paolo Tombesi, directeur de l’institut d’architecture et professeur à l’EPFL. L’activité foisonnante des marques horlogères suisses a, à cette période, produit un nouveau type architectural, un modèle commun, axé sur les besoins concrets des artisans. Les fabricants se sont lancés dans une course aux meilleures conditions environnementales pour les ouvriers. Cela a stimulé le développement de réflexions architecturales sur la question, car les bonnes montres naissaient dans les bons bâtiments», poursuit-il.

Symbole du progrès

Dans cette intégration du travail et du produit, la relation publique la plus importante ne concernait pas les architectes et les bâtiments, mais plutôt la manufacture et son espace considéré comme un symbole visible de qualité, de tradition ou de progrès. Les architectes de renom n’étaient donc pas intégrés à ces projets. Les conditions de travail ont évolué et les progrès technologiques dans les méthodes de fabrication sont en train de changer la donne.

A l’instar du nouveau centre de production Omega inauguré fin 2017, qui réunit sous un même toit l’ensemble des processus d’assemblage et de tests de la marque. Un système de stockage des composants nécessaires pour fabriquer les montres entièrement automatisées a notamment été installé. «Les artisans sont moins impliqués dans l’assemblage des montres, la technologie prend de plus en plus place», observe le professeur qui, dans le cadre d’un groupe de travail, a sélectionné 200 bâtiments horlogers et comparé l’évolution des conditions de travail à travers les décennies.

Selon ses recherches, l’obsolescence générée par le progrès technologique a condamné un très grand nombre d’anciennes manufactures, célèbres dans la première moitié du siècle XXe siècle. La nouvelle génération de sièges horlogers est tout autant attachée à la fabrication des garde-temps qu’à la célébration d’un héritage à l’aura désormais globalisée. D’où l’importance d’images fortes, associées à des architectes prestigieux.

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