Un banc en verre aussi résistant que l'acier

Alexander Wolhoff et Jagoda Cupać. © Marc Delachaux / EPFL 2017

Alexander Wolhoff et Jagoda Cupać. © Marc Delachaux / EPFL 2017

La réalisation d’un banc en verre aux propriétés inédites a amené plusieurs entreprises à innover. Le projet est né d’une collaboration entre une doctorante en génie civil et un jeune diplômé en architecture de l’EPFL.


En associant ses compétences avec celles d'Alexander Wolhoff, architecte EPFL, Jagoda Cupać, docteur en génie civil, a prouvé que le verre pouvait se transformer en matériau ultra résistant. Leur projet? Un banc en verre de 6 mètres de portée nommé ATLAS. Pour le réaliser, des entreprises ont sponsorisé des processus de fabrication et un usage de matériaux qui leur étaient encore inconnus. Véritable prototype technologique, le banc ATLAS sera exposé durant six mois à l’ouest du Rolex Learning Center.

Toits, escaliers, murs, sols, poutres... En architecture contemporaine, l’usage du verre a dépassé depuis longtemps le périmètre de la fenêtre. Son omniprésence est même loin de faiblir. Au point de confronter les ingénieurs à un défi de la taille de celui d’Atlas, condamné à porter le monde sur ses épaules pour l’éternité: faire du verre un matériau porteur aussi résistant que l’acier ou le béton... tout en conservant, bien sûr, sa belle transparence.

Verre renforcé et post-tendu

Jagoda Cupać s’est spécialisée dans la résistance du verre depuis son travail de master en génie civil, mené en Croatie. Dans le cadre de sa thèse au Laboratoire des structures métalliques résilientes (RESSLAB), la chercheuse a testé des éléments en verre aux propriétés encore méconnues et peu étudiées à l’EPFL: une poutre en verre «renforcée et post-tendue» par des pièces d’acier inoxydable. Durant ce processus, l’acier est étiré mécaniquement avant d’être collé à la poutre de verre pour en augmenter la solidité.

La chercheuse a procédé à des dizaines de tests de résistances en flexion pour identifier les assemblages les plus solides: «Les poutres en verre sont post-tendues à l’aide de barres en acier inoxydable, elles-mêmes ensuite collées sur les tranches de la poutre de verre et attachées à chacune de ses extrémités. De cette manière, en raison de l’effort de précontrainte, la résistance du verre lors de la flexion est augmentée. En cas de rupture d’un toit ou d’un sol en verre, due par exemple à une charge exceptionnelle ou à un acte de vandalisme, la sécurité des personnes à l’intérieur et à l’extérieur du bâtiment sera donc assurée par ce système. L’acier prend l’effort de traction et donne au verre un comportement très «ductile», autrement dit, qui supporte de grandes déformations. Une rupture immédiate et sans avertissement de la structure est ainsi évitée.» Les résultats de sa recherche remettent ainsi en cause les idées préconçues sur la fragilité du verre: celui-ci devient aussi résistant et ductile que les matériaux porteurs traditionnels.

Systèmes applicables à la construction

En plus de sa partie théorique, la thèse de Jagoda Cupać propose trois systèmes de poutres en verre post-tendues applicables directement à la construction. C’est par eux qu’est née l’idée de s’associer avec Alexander Wolhoff, qui vient d’achever un master en architecture à l’EPFL. «Collaborer avec un architecte m’a donné l’occasion de transférer directement les conclusions de ma thèse au secteur de la construction en les rendant encore plus intéressantes, en raison du côté artistique du projet», précise la chercheuse. Un échange de compétences également souligné par Alexander Wolhoff: «La richesse de cette collaboration entre nos champs d’expertise a supposé d’interférer et de troubler la sécurité de l’autre avec une approche ingénieuse. Le projet ATLAS n’aurait pas été possible sans cet échange profond et cette capacité à écouter l’autre.»

Projet ATLAS

Ainsi donc est né ATLAS. Un banc composé de trois poutres en verre renforcé d’acier et post-tendues et de deux blocs d’appuis en béton fibré ultra-performant (BFUP). Ces blocs, tintés dans la masse et brillants, permettent de transmettre la charge des poutres dans le sol. Alexander Wolhoff a développé un béton spécial pour l’occasion, en partie sur la base de ses propres recherches. La fabrication de ces supports a reçu le soutien du Laboratoire de maintenance, construction et sécurité des ouvrages (MCS) de l’EPFL. Dans ce cadre, Christophe Loraux, doctorant au MCS, a aussi pris part au projet en conseillant à Alexander Wolhoff d’utiliser du BFUP plutôt que du béton traditionnel qui, lui, présentait beaucoup d’inconvénients pour cette application: «Le choix du BFUP s’est imposé pour sa complémentarité avec le verre: on met ainsi ensemble deux matériaux inaltérables dans le temps et hautement résistants», précise Christophe Loraux. Une autre référence au titan de la mythologie grecque?

Le mélange de BFUP avec fibres synthétiques développé par le MCS a été choisi pour ses nombreux avantages: sa facilité lors du remplissage des coffrages, ses bonnes résistances mécaniques, tant en compression qu’en traction, et parce qu’il ne présente aucun risque de détérioration dans le temps. Le résultat est confondant: il montre un matériau qui se détache de l’aspect attendu du béton pour s’apparenter à celui de la céramique. Le banc ATLAS joue ainsi avec les apparences: entre verre et céramique, il se présente aux passants avec une fragilité trompeuse.

Curiosité des sponsors

L’obtention des autres matériaux a nécessité de convaincre les sponsors, comme l’explique Jagoda Cupać: «Un entreprise zurichoise spécialisée dans la précontrainte par post-tension, utilisée notamment dans la construction de ponts en béton, n’avait jamais entendu parlé d’un tel assemblage verre-acier et a été d’accord de financer notre acier. Et notre adhésif n’est habituellement utilisé que dans des composants électroniques, alors qu’il a, à notre sens, beaucoup de potentiel. Le tout a été assemblé chez un grand constructeur de façades en verre qui ne connaissait pas non plus ce type de poutres.»

Exposé une première fois sur le campus de l’EPFL, le banc ATLAS est destiné sur le long terme à occuper un espace intérieur. Ensemble, Jagoda Cupać et Alexander Wolhoff sont à la recherche d’un lieu adapté.

Reference

Jagoda Cupać, "Post-tensioned glass beams", supervised by Prof. Alain Nussbaumer and Prof. Christian Louter, September 2017.


Fruit d’une collaboration entre le RESSLAB, le Laboratoire ALICE et le Laboratoire MCS de l’EPFL, le projet ATLAS a reçu le soutien du groupe BBR Network, Huntsman, AGC VIM et Félix Constructions.


Auteur: Sandrine Perroud

Source: EPFL