La forêt se redessine au rythme du changement climatique

© 2017 EPFL

© 2017 EPFL

Comment les arbres s’adaptent-ils aux effets du réchauffement? Des scientifiques de l’EPFL étudient la manière dont réagissent le hêtre et l’épicéa, deux espèces parmi les plus communes en Europe. Ils ont ainsi mis au jour le rôle clé que joue l’humidité présente dans l’air.

Températures en hausse, préciptations plus intenses, alternant avec des périodes de sécheresse prolongées: comment les arbres s’adapteront-ils aux effets du changement climatique? Pour le savoir, une équipe de chercheurs de l’EPFL et du WSL a mené une étude sur l’évolution de deux espèces parmi les plus présentes en Europe et en Suisse: le hêtre et l’épicéa. Publiée récemment dans la revue Global Change Biology, l’étude* montre que chacune réagit différemment et que l’humidité de l’air joue un rôle plus important que ce que l’on pensait.

«Pour savoir à quoi la forêt dans son ensemble ressemblera dans le futur, nous devons comprendre comment chaque espèce végétale répondra spécifiquement aux changements climatiques», décrit Constant Signarbieux, chercheur en charge de cette étude au Laboratoire des systèmes écologiques (ECOS).

Pour ce faire, les scientifiques ont observé sur quatre ans - de 2012 à 2015 - l’évolution de jeunes plants des deux espèces âgés de cinq à sept ans. Collectés au col du Marchairuz, dans les conditions froides du Jura, ces arbustes ont été ensuite replantés à trois altitudes inférieures, où le climat est plus chaud: sur la commune de St-Georges (1'010 m), à l’Arboretum du Vallon de l’Aubonne (570 m) et sur le site de la Fondation les Bois Chamblard gérée par l’EPFL, au bord du lac Léman (395 m). Un quatrième groupe de jeunes arbres, maintenus à leur altitude d’origine de 1'350 m, était également suivi en guise de référence.


Les plants du site d'Aubonne, et un épicéa référence au col du Marchairuz. (c)ECOS

«La transplantation de ces jeunes plants aux altitudes inférieures permet de simuler un réchauffement moyen allant de 1 à 6oC, conformément à ce qui est attendu d’ici 2100 selon les différents scénarios climatiques», relève Constant Signarbieux.

Hêtre ou ne pas hêtre?

Grâce à un modèle de mesure du tronc et des quatre branches principales, ils ont régulièrement estimé la biomasse de chaque plant. Ils ont ainsi pu constater que la hausse des températures entraînaient, pour les deux espèces, un allongement similaire de la saison de croissance, c’est-à-dire de la période comprise entre l’apparition des nouvelles feuilles ou aiguilles au printemps et leur jaunissement en automne. Toutefois, les deux arbres ont montré des croissances en biomasse très différentes. Le hêtre a pleinement bénéficié de la hausse des températures, prospérant rapidement et s’acclimatant ainsi plus facilement au réchauffement induit que l’épicéa. «Ce dernier est une espèce plus conservatrice, qui s’adapte peut-être plus lentement, note le chercheur. Mais l’une des conséquence immédiate pour les forêts, c’est certainement que les hêtres y prédomineront à l’avenir.»

Les découvertes des chercheurs ne s’arrêtent pas là. En voulant expliquer l’origine de cette différence de croissance des deux espèces, ils ont eu une surprise...

Leurs analyses leur ont montré que la raison ne résidait ni dans le processus de photosynthèse, qui est lié notamment avec la température, ni dans la quantité d’eau présente dans le sol, mais, de façon inattendue dans le déficit de pression de vapeur (DPV). C’est-à-dire l’humidité que l’air peut potentiellement contenir en fonction de la température. Cette valeur représente le degré de sécheresse de l’atmosphère et la pression qu’elle exerce ainsi sur le système hydrique de la plante.

Mouvement de succion

Sur leurs feuilles, les plantes disposent d’orifices microscopiques, appellés stomates, qui servent à réguler les échanges gazeux avec l’extérieur. «Les végétaux utilisent ces stomates pour absorber le CO2 de l’atmosphère par diffusion, explique Constant Signarbieux. Lorsqu’ils les ouvrent pour laisser entrer ce gaz, dans le même temps, de l’eau va s’en échapper. Ce mouvement de succion du liquide est appellé la transpiration. Il est dû au fait qu’il y a généralement toujours plus d’humidité dans la plante que dans l’air. Ce même mouvement permet à l’eau et à la sève de monter du sol par les racines, puis dans les tiges et jusqu’aux feuilles.»

Plus l’air sera sec, plus le DPV sera important et plus le phénomène de succion sera fort. C’est lorsque les jours de DPV élevé s’enchaînent – ce qui est de plus en plus fréquent avec les changements climatiques – que les végétaux sont mis à l’épreuve. Mais, confrontées à ces événements plus extrêmes, les plantes réagissent très différemment, à l’exemple des deux espèces étudiées: avant même que l’eau ne commence à manquer dans le sol, l’épicéa fermera ses stomates pour éviter tout stress hydrique. Plus tolérant à ce type de stress, le hêtre attendra, lui, un peu plus longtemps avant de prendre cette mesure, ce qui lui permettra de continuer à absorber du CO2 pour sa croissance, trouvant ainsi un avantage compétitif par rapport à l’épicéa.

Traditionellement, les réponses des végétaux à leurs environnements sont analysées en s’appuyant sur les moyennes saisonnières ou annuelles des températures et des précipitations. Dans ce cas, cela n’a pas suffit à expliquer les croissances différenciées du hêtre et de l’épicéa. L’originalité et le succès de cette étude réside dans le recours à une donnée peu utilisée tel que le nombre d’heures enregistrant un DPV au-dessus d’un certain seuil critique, qui indique la sécheresse vécue par la plante. Les chercheurs vont maintenant élargir leur prospections à d’autres espèces, espérant ainsi dresser un portrait-robot de la forêt du futur en Europe en vue d’une gestion et d’une exploitation plus durables.

* Conduite dans le cadre du doctorat de Paula Sanginés, chercheuse au Laboratoire ECOS.