Mobilité: le big data révolutionne les modèles théoriques

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Dans sa thèse, Marija Nikolic, du Laboratoire TRANSP-OR, propose une méthodologie basée sur les données pour évaluer les flux piétonniers.

Des données, aujourd’hui il y en a pléthore et leur croissance est plutôt de type exponentiel. Pour des scientifiques, c’est du pain béni… pour autant qu’ils les écoutent et parviennent à les faire parler. Le cas échéant, les bénéfices sont indéniables, comme le démontre Marija Nikolic dans la thèse, qu’elle vient de défendre sur la modélisation des flux piétonniers. Basés sur des données réelles et abondantes, ses modèles se révèlent plus fiables, plus robustes et plus fins pour comprendre et évaluer les comportements des piétons.

Pour qualifier et modéliser des flux piétons, trois variables fondamentales sont utilisées: la vitesse (unité de distance par unité de temps), la densité (nombre d’individus par unité d’espace à un moment donné) et le débit (nombre d’individus qui passent à un endroit donné par unité de temps). Les relations fondamentales entre ces trois variables peuvent être définies de manière théorique en utilisant des hypothèses d’équilibre. L’approche de cette thèse est de déterminer ces quantités et les relations qui les lient à partir de données réelles, en donnant moins de poids aux hypothèses somme toute arbitraires.

Or la chercheuse a bénéficié d’une mine d’or: les données récoltées en gare de Lausanne à l’aide de senseurs permettant de suivre à la trace – mais de façon anonyme – la trajectoire des piétons. «C’est la première fois que l’on dispose de véritables données, si abondantes et qui ne sont pas biaisées par l’expérience elle-même», justifie Marija Nikolic. Et plutôt que de découper l’espace en damiers pour identifier les endroits congestionnés, elle l’a fait en fonction de la position de chaque individu, dans l’espace et le temps. Conclusion: cette approche empirique produit de meilleurs résultats que les méthodologies existantes à la fois en terme de régularité des résultats, de robustesse de l’échantillonnage et du bruit induit par les simulations. «Laissons parler les données», plaide la chercheuse.

Tenir compte du contexte de déplacement

Forte de ces constats, Marjia Nikolic a questionné les relations méthodologiques utilisées pour caractériser les flux piétonniers. Par exemple, la vitesse de marche est considérée comme inversement proportionnelle à la densité: plus il y a de monde, moins les marcheurs sont rapides. Or les données collectées révèlent que cette relation ne prend pas une forme linéaire. Certains voyageurs se faufilent très rapidement dans la foule tandis que d’autres flânent quand il n’y a pas un chat. C’est que la vitesse du pas ne dépend pas uniquement de la densité d’individus au m2, mais de beaucoup d’autres facteurs tels que l’âge, le sexe, le but du voyage, la présence de bagages ou non, l’heure, le fait de voyager seul ou en groupe…

Pour tenir compte de cette hétérogénéité, la chercheuse a opté pour une approche probabiliste, incluant le sujet et le contexte de déplacement. Aux trajectoires individuelles fournies par les senseurs, elle a associé les horaires de train et la taille des infrastructures. Le résultat du couple vitesse-densité se traduit désormais en deux classes: les piétons plutôt sensibles à la congestion – qui vont réduire leur vitesse en cas de forte affluence - et ceux qui ne le sont plutôt pas. Et c’est là que le modèle montre qu’en fait une majorité des passants ne peut pas se déplacer à sa vitesse idéale (ou préférée). «Contrairement aux modèles classiques, les nôtres produisent des résultats représentant de façon plus fidèle les phénomènes observés en réalité», souligne la chercheuse.

Le modèle a été validé par des tests empiriques. Les chercheurs l’ont utilisé pour prédire la satisfaction des utilisateurs consécutive à une modification des horaires de train par exemple. «Cette thèse montre le potentiel que recèle l’exploitation des données, en pleine croissance, dans le domaine de la modélisation des flux piétonniers», précise la chercheuse. Et d’ajouter: «La méthodologie développée est d’autant plus intéressante qu’elle peut s’appliquer à d’autres sources de données et à d’autres infrastructures telles que les musées, les centres commerciaux, les stades ou les rues.»

Data-driven fundamental models for pedestrian movement, Nikolić, Marija, Directeur: Bierlaire, Michel, 2017.