Un ciment bactérien pour stabiliser les sols

Dimitrios Terzis a testé le ciment bactérien sur plusieurs types de sols © 2018 Alain Herzog

Dimitrios Terzis a testé le ciment bactérien sur plusieurs types de sols © 2018 Alain Herzog

Afin de renforcer des sols de sable ou de gravier, le Laboratoire de mécanique des sols de l’EPFL a mis au point une technique aisément reproductible à base de bactéries et d’urée. Des réactions chimiques engendrent la formation rapide de cristaux minéraux qui agissent comme des liants entre les particules du sol.

Les sols des zones urbaines, propices aux constructions, sont déjà largement occupés. Ceux qui restent demandent souvent un gros travail de stabilisation et de renforcement pour minimiser les risques à long terme liés aux fissures et aux menaces environnementales. Les techniques de consolidation utilisées actuellement : l’injection d’un béton ou la construction de profondes fondations peinent à remplir les attentes en matière d’impact environnemental, de rentabilité économique ou encore de facilité d’utilisation. Dimitrios Terzis et Lyesse Laloui, du Laboratoire de mécanique des sols de l’EPFL, ont mis au point un procédé à base de bactéries et d’urée. Il permet de lier durablement les particules du terrain par des cristaux de calcite. Biologique, facile à mettre en pratique et peu onéreux : ce bio-ciment prometteur et résistant fait l’objet d’un article dans « Scientific Reports » de la revue Nature.

Le résultat escompté en quelques jours

Pour engendrer les cristaux de calcite, plusieurs réactions chimiques sont nécessaires. Comme agent déclenchant, les chercheurs ont fait appel à des bactéries, les Sporosarcina Pasteurii, qu’ils ont lyophilisées afin de les rendre facilement utilisables. Dispersées sur le terrain, elles s’attachent aux grains de sable ou de gravier, se multiplient et forment finalement un film adhésif et protecteur. Le rôle de ces microorganismes sera alors de jouer les entremetteurs entre de l’urée, une molécule de synthèse hautement soluble et non toxique, et du calcium qui sont pulvérisés sur la surface.

Les bactéries décomposent les molécules d’urée pour se nourrir et améliorer leur environnement. Se faisant, elles libèrent du carbonate qui se lie avec le calcium pour former des cristaux de calcite. Ceux-ci s’accrochent aux particules du sol et grandissent en nombre et en taille. Ils peuvent atteindre plusieurs centaines de micromètres. L’enzyme d’uréase, également libérée par les bactéries durant leur digestion, se charge d’accélérer le processus. Un gain de temps non négligeable – la réaction est 1000 fois plus rapide - qui permet d’avoir le résultat escompté en quelques heures, voire quelques jours. Ces enzymes ont même le pouvoir de répliquer toutes seules la décomposition des molécules d’urée une fois les bactéries dégradées. L’efficacité de ce processus étant équivalente à celle fournie par la bactérie en entier, les chercheurs ont tenté avec succès de se passer de cette dernière. « Une alternative “sans-cellule” permettra de faciliter l’application à très grande échelle en réduisant le coût», souligne Lyesse Laloui, professeur du Laboratoire.

Différents niveaux de cimentation peuvent être créés

La résistance de cette cimentation ainsi que sa microstructure, ont également été testées sur divers sols avec d’excellents résultats. Une nouvelle méthode d’observation quantitative a été développée en parallèle par le Laboratoire de mécanique des sols. Les chercheurs ont eu recours à des analyses de microtomographie à rayon X ainsi qu’à des reconstructions en trois dimensions afin d’avoir un aperçu en temps réel de la nature du mécanisme de croissance et de l'état interne des liaisons cristallines. Des éléments comme la taille des liaisons, leur nombre et leur orientation ont ainsi pu être observés. Cela a permis de mieux comprendre les principes du fonctionnement de la technique.

Ce biociment peut être produit sur place, à moindre coût, à température ambiante et avec un besoin en énergie limité. Différents niveaux de cimentation peuvent être créés et utilisés selon les besoins du projet de construction. De faibles quantités de calcite permettent d’obtenir une résistance suffisante pour que les sols graveleux résistent à des forces de cisaillement lors d’importants tremblements de terre ou apporter des solutions aux problèmes de stabilisation des pentes ou de restauration de fondations existantes. Avec des contenus de calcite plus importants, le matériau peut être considéré comme matériau de construction, ou même utilisé pour des applications d’imperméabilisation des sols.

Lauréats du 30ème Prix Roberval

Laurent Vulliet et Lyesse Laloui, professeurs au Laboratoire de mécanique des sols (LMS) de l’EPFL, ont reçu le 16 janvier dernier le 30ème Prix Roberval Enseignement Supérieur pour leur livre Mécanique des sols et des roches, publié aux Presses polytechniques et universitaires romandes en 2016. Jian Zhao, troisième co-auteur de l’ouvrage, est un ancien professeur de l’EPFL, actuellement à l’Université Monash, en Australie. Le prix a été remis par Sébastien Candel, président de l’Académie française des sciences, à l’Institut national de France en la présence de 150 invités. Ce prix récompense la promotion et la diffusion de la science et des technologies en langue française. Il a eu comme précédents lauréats des prix Nobel tels que Georges Charpak et Pierre-Gilles de Gennes.

Laurent Vulliet, Lyesse Laloui, Jian Zhao, Mécanique des sols et des roches - avec écoulements souterrains et transferts de chaleur (Traité de Génie civil vol. 18), Presses polytechniques et universitaires romandes, 2016.