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Laisse béton! La terre crue se profile en matériau d'avenir

L'architecte zurichois Roger Boltshauser au cœur de l'exposition consacrée au renouveau du pisé à l'Espace Archizoom de l'EPFL, de mars à juin 2017.

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Disons-le tout net, ce n'est pas demain que la terre crue remplacera le béton au cœur des villes suisses. Quoique. Le pisé creuse gentiment son sillon sous nos latitudes. Encore très utilisée dans les pays en voie de développement, cette technique de construction millénaire qui consiste à compacter la terre dans un coffrage a été écartée en Europe dès 1850 au profit des briques en terre cuite et du ciment. Mais ici et là, comme à Genève ce printemps ou à Lausanne au dernier Festival de la terre, on redécouvre avec curiosité ce matériau oublié.

Des murs à l'échelle humaine

C'est que la terre a de sacrés atouts à faire valoir. A commencer par ses vertus émotionnelles. Le simple contact d'une poignée de terreau à géraniums a le don de remuer les âmes citadines, alors imaginez l'effet d'une maison en pisé sur nos esprits tourmentés! Des murs bien épais, à l'échelle humaine, 100% naturels et recyclables, des cloisons qui respirent et qui parlent à nos sens… A quoi bon développer des matériaux hi-tech qui laissent tout le monde de marbre quand le bonheur est là, sous nos pieds, en quantité pour ainsi dire illimitée?

Contrairement aux bâtiments labellisés Minergie, dont la construction nécessite beaucoup d'énergie grise – béton et autres matériaux synthétiques – pour parvenir au summum de l'efficience énergétique, la terre crue répond sans aucun artifice à toutes les exigences du développement durable. C'est le credo de l'architecte zurichois Roger Boltshauser, l'un des précurseurs du renouveau du pisé: «Je suis un architecte, pas un pape de l'écologie, prévient-il. Mais comment ne pas s'intéresser à un matériau aussi prometteur et stimulant?» Depuis quinze ans, ce défricheur collabore régulièrement avec l'ingénieur autrichien Martin Rauch, dont il a d'ailleurs dessiné la maison familiale en terre crue dans le Vorarlberg en 2005 – une demeure nommée «Haus Rauch», qui fait office de manifeste pour le pisé contemporain.

«Learning by doing»

Invité par la section d'architecture de l'EPFL, Roger Boltshauser a aiguillonné, deux semestres durant, la créativité d'une volée de bâtisseurs du futur dans le cadre d'un atelier de projets d'un genre inédit. Learning by doing. «Se confronter au matériau, procéder par essai-erreur, c'est comme ça qu'on apprend le mieux et qu'on invente de nouvelles façons de construire», plaide l'architecte. La théorie de la main à la pâte n'a plus vraiment de secret pour la bonne vingtaine d'étudiants en architecture qui ont suivi avec passion son enseignement.

Initiés aux techniques de coffrage, tous sont arrivés au terme de leur première année de master avec les semelles crottées et les paumes calleuses d'ouvriers du bâtiment: «Pelleter et piser trois tonnes et demie de terre en un week-end, ça change des ateliers conceptuels, plaisante Loïc Preitner. C'était une expérience un peu hippie. On a beaucoup réfléchi pour trouver des solutions innovantes, mais aussi beaucoup sué.» Et ils ne sont pas au bout de leurs peines. En août prochain, ils se frotteront d'encore plus près à la réalité du pisé. Dans le cadre d'une «summerclass», les étudiants construiront de leurs propres mains, grandeur nature, un des projets élaborés en cours d'année – un pavillon d'exposition en terre crue, béton et bois – sur le site historique du Sittertal, à Saint-Gall.

«Une ville de boue »

La terre et ses contraintes: un véritable challenge pour ces architectes en devenir habitués à compter sur des matériaux prêts à l'emploi, moins exigeants et tellement plus résistants, comme l'acier, le verre ou le béton. Premier hic, l'érosion. Comment éviter que la terre ne retourne à la terre au premier orage? «Il faut équiper l'édifice de bonnes bottes et le coiffer d'un bon chapeau. Autrement dit, prévoir des fondations en pierre ou en béton pour prévenir les remontées d'humidité par capillarité et un toit bien couvrant.» Cyril Veillon, historien de l'architecture et directeur de l'Espace Archizoom de l'EPFL, qui vient de consacrer deux expositions au renouveau du pisé, paraphrase l'architecte lyonnais François Cointreau (1740-1830). Auteur de plusieurs traités, ce grand promoteur de la terre a construit des dizaines de bâtiments en pisé à Lyon et à Grenoble. Engagé par Napoléon Bonaparte pour reconstruire la ville de la Roche-sur-Yon, il fâche l'empereur qui lui reproche d'avoir gâché l'argent alloué pour ériger «une ville de boue».Ironie de l'histoire, la terre autrefois jugée sale et ignoble, tout juste bonne à abriter les bouseux et les sauvages, est aujourd'hui un matériau de luxe, car particulièrement gourmand en main-d'œuvre. D'où l'intérêt de développer la préfabrication industrielle, comme ce fut le cas récemment avec la Maison des Herbes de Ricola de Herzog & de Meuron (lire ci-dessous). D'autres projets à grande échelle vont suivre, comme l'Océanium de Bâle conçu par Roger Boltshauser et prévu pour 2022.

Nouveau langage architectural

A l'EPFL, les étudiants avaient pour mission de développer un nouveau langage architectural, tout en relevant les défis très concrets du pisé: trouver des réponses aux problèmes statiques et d'étanchéité, réduire les coûts de construction... «Avec le béton, il est très difficile d'inventer quelque chose de neuf. Avec la terre, tout est ouvert, il n'y a pas de normes», s'enflamme Roger Boltshauser. «Le pisé nous a rendus plus intelligents, apprécie Yannick Claessens, dont le projet sera réalisé cet été à Saint-Gall. Dans nos prochains travaux, on aura moins tendance à choisir le matériau par défaut. On cherchera des alternatives, on se fiera davantage à nos intuitions.»