Comment les protéines sont contrôlées «à distance»

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Des scientifiques de l'EPFL ont créé un nouveau modèle informatique susceptible de contribuer à améliorer la conception de médicaments allostériques, qui contrôlent les protéines «à distance».

Les enzymes sont de grosses protéines qui sont impliquées dans virtuellement chaque processus biologique, et qui facilitent une multitude de réactions biochimiques dans nos cellules. C'est pourquoi un des plus grands efforts dans le domaine de la conception des médicaments aujourd'hui vise à contrôler les enzymes sans interférer avec ce qu'on appelle leurs sites actifs – les parties de l'enzyme dans lesquelles se produit la réaction biochimique. Cette approche «à distance» est appelée «régulation allostérique», et le fait de pouvoir prédire les parcours allostériques pour les enzymes et d'autres protéines a suscité un intérêt considérable. Des scientifiques de l'EPFL, avec des collègues aux Etats-Unis et au Brésil, viennent de développer un nouvel outil mathématique qui permet de meilleures prévisions allostériques. L'étude est publiée dans PNAS.

Médicaments allostériques

La régulation allostérique est un mécanisme moléculaire fondamental qui module de nombreux processus cellulaires, les affine et les rend plus efficaces. La plupart des protéines contiennent dans leur structure des parties éloignées de leur site actif, qui peuvent être ciblées pour influencer leur comportement «à distance». Lorsqu'une molécule modulatrice allostérique – qu'elle soit naturelle ou synthétique – se lie à un tel site, elle modifie la structure 3D de la protéine, affectant de ce fait sa fonction.

La raison principale qui rend les sites allostériques si intéressants pour la conception de médicaments réside dans le fait qu'ils peuvent être utilisés pour inhiber, ou améliorer l'activité d'une protéine, par exemple, la force de liaison d'une enzyme ou d'un récepteur. A titre d'illustration de ces effets, le diazepam (Valium) agit sur un site allostérique du récepteur GABAA dans le cerveau, et accroît sa capacité à établir des liaisons. Son antidote, le flumazenil (Lanexat), agit sur le même site, mais inhibe au contraire le récepteur.

D'une manière générale, un médicament allostérique serait utilisé à une dose comparativement plus faible par rapport à un médicament agissant directement sur le site actif de la protéine, offrant ainsi des traitements plus efficaces avec moins d'effets secondaires.

Développer un modèle allostérique

Malgré l'importance des processus allostériques, nous ne comprenons toujours pas complètement comment une molécule, en se liant sur une partie distante et apparemment peu importante d'une grosse protéine, peut changer aussi fortement sa fonction. La clé se trouve dans l'architecture générale de la protéine, qui détermine quels types de changements 3D provoquera un effet allostérique.

Le laboratoire de Matthieu Wyart à l'EPFL s'est efforcé de répondre à plusieurs questions concernant notre compréhension actuelle des architectures allostériques. Les scientifiques les classent en deux types: les charnières, qui provoquent des changements de structure à la manière de ciseaux, et les cisaillements, qui comprennent deux plans se déplaçant côte-à-côte. Bien qu'ils soient clairs sur le plan mécanique, les deux modèles n'englobent pas l'ensemble des cas d'effets allostériques, où certaines protéines ne peuvent pas être classifiées comme ayant des architectures charnière ou cisaillement.

Les chercheurs ont exploré des architectures allostériques alternatives. En particulier, ils ont examiné la structure des protéines comme des sphères réparties de manière aléatoire capables d'évoluer pour accomplir une fonction donnée. Lorsqu'une sphère bouge d'une certaine manière, ce modèle peut aider les scientifiques à repérer son impact structurel sur l'ensemble de la protéine.

Au moyen de cette approche, les scientifiques ont répondu à plusieurs questions auxquelles les modèles conventionnels ne répondent pas de manière satisfaisante. Quels types d'«architecture» 3D sont-ils sensibles aux effets allostériques ? Combien y a-t-il de protéines fonctionnelles ayant une architecture similaire ? Comment peuvent-elles être modélisées et comment peuvent-elles évoluer dans un ordinateur pour offrir des projections en matière de conception des médicaments ?

Sur la base de la théorie et de la puissance informatique, l'équipe a développé un nouveau modèle qui peut prédire le nombre de solutions, leurs architectures 3D, et la relation entre les deux. Chaque solution peut même être imprimée avec une imprimante 3D pour créer un modèle physique.

Le modèle propose une nouvelle hypothèse pour les architectures allostériques, qui introduit l'idée que certaines régions dans la protéine peuvent agir comme des leviers. Ces leviers amplifient la réponse induite en attachant un ligand et permettent une action à distance. Cette architecture est une alternative aux schémas charnière et cisaillement reconnus dans le passé. L'approche informatique peut également être utilisée pour étudier la relation entre la coévolution, la mécanique, et la fonction, tout en étant ouverte à de nombreuses extensions à l'avenir.

Ce travail résulte d'une collaboration du Laboratoire de physique des systèmes complexes de l'EPFL avec l'Université de Californie Santa Barbara et la Universidade Federal do Rio Grande do Sul au Brazil. Il a été financé par la National Science Foundation (NSF), le Fonds national suisse (FNS), et la Fondation Simons.

Référence

Le Yan, Riccardo Ravasio, Carolina Brito, Matthieu Wyart. Architecture and Co-Evolution of Allosteric Materials.PNAS 20 February 2017.