Du compost pour préserver la forêt malgache

La culture du maïs remonte aux années 1930 à Madagascar. © Justine Gay-des-Combes

La culture du maïs remonte aux années 1930 à Madagascar. © Justine Gay-des-Combes

Une thèse de l’EPFL a permis d’augmenter jusqu’à cinq fois le rendement de cultures de maïs à Madagascar tout en contribuant à limiter la déforestation de l’île.

Dans le cadre de sa thèse de doctorat au sein du Laboratoire des systèmes écologiques (ECOS), Justine Gay-des-Combes a découvert une technique durable pour améliorer la culture «sur brûlis», une pratique issue de l'agriculture traditionnelle malgache. Celle-ci consiste à brûler des surfaces boisées pour faire place à des cultures. De fait, elle est en partie responsable de la déforestation de l'île. Après deux années de tests dans deux villages du sud-ouest du pays, la chercheuse a développé un système écologique et social alliant la création de compost à la réhabilitation de puits. L’ingénieure en environnement a également organisé sur place des formations dédiées aux agriculteurs pour leur enseigner sa technique.

«La culture sur brûlis est profondément ancrée dans l’identité malgache, j’ai donc choisi de respecter cette technique traditionnelle, tout en la rendant plus durable», explique Justine Gay-des-Combes. Durant deux ans, la chercheuse a effectué des mesures dans des champs de maïs existants et a entrepris des expériences sur de nouvelles parcelles, ainsi que de manière très contrôlée dans des pots.

Les agriculteurs pratiquant cette technique ancestrale brûlent des pans de forêts primaires, parfois des surfaces secondaires, et en répartissent les cendres sur les sols pour les fertiliser. En suivant son hypothèse de travail, la chercheuse a procédé à un abattage sélectif des arbres dans la forêt secondaire, plutôt qu’à un abattage total. Sur les surfaces préparées avec des cendres d’arbres, selon la méthode traditionnelle, elle a ajouté un peu de compost autour des graines de maïs lors du plantage. Pour vérifier l’hypothèse d’une synergie efficace entre les cendres et le compost, l’expérience a pris place sur des sols dégradés considérés comme stériles.

Développer une pratique peu connue
Après deux ans d’expérimentation, entre 2014 et 2015, le rendement des champs cultivés par Justine Gay-des-Combes s’est révélé cinq fois supérieur à celui basé sur la culture traditionnelle. Les plantes de maïs ont atteint respectivement 240 cm, contre 140 cm, avec des épis plus nombreux et de meilleure qualité. Ce rendement aurait même pu être plus élevé sans le passage, en 2015, d’un cyclone.

«Mélanger le compost aux cendres est une pratique peu connue. Certains paysans pensent que la cendre va brûler le compost. Dans les faits, l’étalage de celles-ci augmente le pH du sol à une valeur neutre, ce qui est très favorable pour ces sols tropicaux très acides. Par la même occasion, elles aident à libérer le phosphore et divers autres nutriments importants pour les plantes. L’ajout local de compost apporte la matière organique et l’azote qui manquent tous deux dans ces sols pauvres et dont les cendres sont dépourvues. L’humidité du sol est ainsi renforcée. En plus d’augmenter la fertilité des sols, cette nouvelle pratique les rend donc aussi plus durables», explique la chercheuse.

Les Malgaches n’ayant pas assez d’ordures ménagères pour constituer du compost, la chercheuse a décidé d’en fabriquer à partir de branchages pris sur les arbres poussant près des champs et qui n’étaient pas valorisés jusqu’alors: «Nous avons broyé ces branches à la machette et à la broyeuse et avons ensuite placé le matériel brut dans des fosses d’un mètre de profondeur. Avec un brassage hebdomadaire et un maintien du taux d’humidité, le compost était mûr après sept à huit mois.»

Puits et formations
Trouver l’eau nécessaire à l’entretien du compost a également été un défi. En fondant l’association «Blue for Green», la chercheuse a pu récolter des fonds par l’intermédiaire d’Ingénieurs du Monde-EPFL, ainsi que par la Fédération Vaudoise de Coopération (FEDEVACO) pour réhabiliter quatre puits et en construire un nouveau. Ces actions ont été ciblées sur les besoins des villageois. «Les puits ont un double usage: ils permettent d’entretenir les composts et de fournir de l’eau potable à proximité des villages. Nous travaillons avec quatre formateurs qui entretiennent les puits, transmettent notre technique agricole aux villageois et leur délivrent des conseils en hygiène et santé», explique Justine Gay-des-Combes, membre et ancienne présidente d’Ingénieurs du Monde. «La moitié des 500 agriculteurs ayant reçu une formation ont testé la technique de fosses à compost. Il a toutefois été évidemment difficile de les sensibiliser à l’importance d’arroser régulièrement les 35 composts en période de sécheresse, lorsqu’ils devaient déjà faire la queue au puit pour leur propre consommation d’eau. Nous sommes donc en train de développer une méthode d’arrosage automatique pour faciliter cette étape», explique la chercheuse.

Prévenir le passage de cyclones
Justine Gay-des-Combes consacre un chapitre de sa thèse à l’effet des cyclones sur les cultures malgaches en comparant l’année cyclonique de 2015 à une année normale. Actuellement, le rendement des récoltes chute de 75% après le passage d’un cyclone, un phénomène de plus en plus courant en raison du changement climatique. L’ajout de compost et la présence d’arbres non abattus dans les champs, à la manière de l’agro-foresterie, pourraient prévenir l’érosion et le lessivage des sols en maintenant la structure du sol et en retenant une partie de ses nutriments.

Directeur de la thèse et du Laboratoire ECOS, Alexandre Buttler mène depuis plus de dix ans des recherches à Madagascar. Pour lui, le travail de Justine Gay-des-Combes ouvre de nouvelles perspectives: «Le but ultime de cette recherche à l’EPFL est de donner aux paysans les moyens de cultiver d’année en année le même sol, plutôt que d’utiliser la forêt primaire comme réserve de sols. Avec cette dernière thèse de doctorat, nous avons des pistes encourageantes pour améliorer les rendements agricoles et la durabilité des sols dans l’une des régions les plus pauvres du monde.»

Référence

Justine Gay-des-Combes, Improving slash-and-burn agriculture in Central Menabe, Madagascar, 30 juin 2017.

Cette thèse a reçu le soutien d’un programme conjoint de la Direction du développement et de la coopération suisse (DDC) et du Fonds national suisse (FNS).

La déforestation des forêts tropicales autour du monde est responsable d’environ 15% des émissions de carbone annuelles. A Madagascar, celle-ci est l’une des plus alarmantes du monde. En 50 ans, 70% de la couverture de forêt a disparu de l’île. L’exploitation de bois précieux, la fabrication de charbon de bois, ainsi que la culture sur brûlis en sont les principaux responsables. Cette technique ancestrale est encore pratiquée dans d’autres régions du tropicales, à l’exemple de l’Indonésie et de l’Amazonie. Dans le sud-ouest de Madagascar, les agriculteurs cultivent depuis les années 1930 du maïs destiné en bonne partie à l’exportation. Cette culture, importée de l’étranger, est toutefois mal adaptée aux sols pauvres et acides de ce pays car elle absorbe quasi tous les nutriments disponibles dans le sol. Résultat: les agriculteurs abandonnent rapidement leurs champs, en général après trois ans d’exploitation, puis défrichent de nouvelles terres forestières. La forêt ne se régénère que difficilement sur les parcelles délaissées. La forêt dense et sèche de Kirindy, là où la thèse de l’EPFL a été conduite, subit une déforestation annuelle de 2,6%. A ce rythme, sa disparition totale est prévue d’ici à 2050.

Auteur: Sandrine Perroud

Source: EPFL