La vitesse d'expansion de l'Univers révélée par les quasars

Un quasar « lentillé » © NASA/ESA/Max Planck Institute for Astrophysics)/University of Cambridge

Un quasar « lentillé » © NASA/ESA/Max Planck Institute for Astrophysics)/University of Cambridge

La collaboration HOLiCOW, un projet en cosmologie conduit par l'EPFL et le Max Planck Institute et qui regroupe plusieurs organisations de recherche dans le monde, a procédé à une nouvelle mesure de la Constante de Hubble, qui indique la vitesse de l'expansion de l'univers. Cette nouvelle mesure remet en cause certaines des mesures les plus récentes, et pointe potentiellement vers une nouvelle physique, au-delà du Modèle Cosmologique Standard.

Pouvoir mesurer à quelle distance des objets se situent dans l'espace a conduit à de grandes découvertes, par exemple celle que notre univers est en expansion. La vitesse d'expansion est déterminée par le Modèle Cosmologique Standard en vigueur, «Lambda CDM», qui fixe la vitesse d'expansion actuelle à environ 72 km par seconde par mégaparsec (un mégaparsec représente environ 3,3 millions d'années-lumière). Cette vitesse est appelée «Constante de Hubble», H0, et a été constamment affinée pendant près d'un siècle: une mesure de haute précision de H0 a des implications profondes, autant en cosmologie qu'en physique. La collaboration HOLiCOW vient de recourir à de nouveaux outils pour calculer de manière indépendante la très importante Constante de Hubble avec une précision de 3,8%. Le nouveau chiffre correspond à celui d'études récentes, qui cependant sont en contradiction avec les prédictions du Modèle Cosmologique Standard, et pointent vers une nouvelle physique. Ce travail est publié en cinq articles dans les Monthly Notices of the Royal Astronomical Society.

Une histoire de l'expansion

L'expansion de l'Univers, qui se fonde sur l'idée que l'Univers est né avec le Big Bang, a été suggérée pour la première fois par le cosmologiste belge Georges Lemaître. A peu près en même temps, à la fin des années 1920, l'astronome Edwin Hubble étudiait des galaxies qui s'éloignaient de la Voie Lactée; il remarqua que les plus éloignées de la Terre semblaient se déplacer plus rapidement. Ce qu'il observait en réalité, c'était l'Univers en expansion, et il s'attacha à calculer son taux d'expansion. Les observations de Hubble ont conduit à une constante qui quantifie cette expansion, et qui sera appelée plus tard la «Constante de Hubble».

Au fil des ans, les mesures de H0 ont été affinées au moyen de télescopes de plus en plus performants et d'instruments de mesures plus sensibles. Le télescope Hubble fait partie de ces outils, qui a procédé à des mesures sur des étoiles de type Céphéides, des étoiles extrêmement lumineuses qui pulsent selon un rythme régulier et prévisible, et sur des étoiles qui ont explosé, appelées supernovae. Une autre manière de mesurer la vitesse d'expansion de l'Univers consiste à utiliser le Fonds diffus cosmologique (Cosmic microwave background – CMB), qui est la température de fond quasi constante de tout l'Univers, connu comme «émission rémanente» ou «rayonnement fossile» du Big Bang.

Les quasars: une nouvelle mesure pour la Constante de Hubble

La collaboration HOLiCOW vient de mesurer la Constante de Hubble de manière indépendante, en exploitant un phénomène cosmique appelé «lentilles gravitationnelles», dans lequel la masse énorme des galaxies courbe l'espace-temps. Les galaxies agissent alors comme des lentilles qui peuvent agrandir et déformer l'image normalement diffuse d'objets situés plus loin. Elles peuvent aussi produire plusieurs images des objets originaux «lentillés», et les faire apparaître multiples. Pour mesurer la Constante de Hubble, les scientifiques ont étudié la lumière en provenance de cinq quasars vus de manière démultipliée en raison de l'effet de lentille gravitationnelle produit par des galaxies situées à l'avant-plan.

Les quasars sont des trous noirs supermassifs au centre de galaxies, qui émettent de gigantesques quantités d'énergie électromagnétique.

La magnitude des quasars présente des variations aléatoires au fil des ans, dont il résulte une oscillation apparente de leur intensité. Cette oscillation est vue de manière décalée dans chaque lentille gravitationnelle, parce que la lumière emprunte des chemins différents dans chaque image. Mais la distance que parcourt la lumière du quasar dans chaque image dépend de l'expansion de l'Univers, fixée par la Constante de Hubble. Par conséquent, le fait de mesurer le décalage temporel entre les lentilles gravitationnelles offre un moyen de déterminer la Constante de Hubble. Les participants à HOLiCOW sont des leaders mondiaux dans ce type de mesures, tout particulièrement à travers leur programme COSMOGRAIL, qui utilise principalement le télescope suisse de 1,2m. situé dans les Andes chiliennes, sur le site de l'Observatoire européen austral (ESO).

Avec cette technique, la Constante de Hubble est mesurée avec une précision de 3,8% dans le cadre du Modèle Cosmologique Standard. Cette mesure est indépendante des autres méthodes, les trois lentilles gravitationnelles consistant en elles-mêmes en une sonde cosmologique ne se fondant sur aucune autre mesure.

Ces découvertes correspondent aux mesures les plus récentes de la Constante de Hubble dans l'Univers local en utilisant les Céphéides et les supernovae. Mais elles se distinguent aussi de manière significative des mesures fortement médiatisées du Fonds diffus cosmologique faites avec le satellite Planck en 2015. « La divergence entre les mesures locales et celles du CMB de la Constante de Hubble sort renforcée des nouvelles observations faites par lentillage fort, » dit Frederic Courbin, du Laboratoire d’Astrophysique de l’EPFL, qui participe à H0LiCOW. « Cette divergence pourrait s’expliquer par une nouvelle physique, au-delà du Modèle Cosmologique Standard, qui s’appuierait en particulier sur de nouvelles formes d'énergie sombre. »

“Au delà de la nouvelle mesure de la constante de Hubble, nos travaux illustrent la puissance de la méthode des lentilles gravitationnelles pour contraindre la cosmologie”, conclu Vivien Bonvin, auteur principal de l’article scientifique qui résume les résultats de cette étude.

En savoir plus:

Le télescope Hubble est un projet de coopération internationale entre l'ESA et la NASA.

Cette recherche a été présentée dans une série de documents à paraître dans Monthly Notices of the Royal Astronomical Society.

Les publications relatives à cette étude sont:

  1. "H0LiCOW I. H0 Lenses in COSMOGRAIL’s Wellspring: Program Overview", by Suyu et al. [lien]
  2. "H0LiCOW II. Spectroscopic survey and galaxy-group identification of the strong gravitational lens system HE 0435−1223", by Sluse et al. [lien]
  3. "H0LiCOW III. Quantifying the effect of mass along the line of sight to the gravitational lens HE 0435−1223 through weighted galaxy counts", by Rusu et al. [lien]
  4. "H0LiCOW IV. Lens mass model of HE 0435−1223 and blind measurement of its time-delay distance for cosmology", by Wong et al. [lien]
  5. "H0LiCOW V. New COSMOGRAIL time delays of HE 0435−1223: H0 to 3.8% precision from strong lensing in a flat ΛCDM model", by Bonvin et al. [lien]
Communiqué de presse ESA/ESO/Hubble:https://www.spacetelescope.org/news/heic1702/